Napoléon Bonaparte aurait pu ne pas figurer dans les livres d'histoire, ou bien modestement, ou encore comme homme d'Etat décédé au faîte de sa gloire. Sil n'en a rien été, c'est qu'il s'en est fallu de quelques centimètres, ou de quelques minutes, pour qu'il ne trouve la mort prématurément, par accident, par attentat, par fait de guerre, par noyade ou autre ...
Ce sont ces événements, ces moments particuliers qui relèvent de la petite histoire mais auraient pu faire partie de la grande, que nous allons évoquer ici, par ordre chronologique ; en tout cas les plus marquants, car on pourrait aisément multiplier leur nombre par trois (Napoléon estime lui-même que dix-huit ou dix-neuf chevaux ont été tués sous lui).
Été 1788 - Près d'Auxonne
Le jeune lieutenant Napoléon Bonaparte, voulant un jour d'été goûter aux joies de la baignade dans les eaux de la Saône, se voit saisi d'une crampe (ou d'un malaise) qui le fait couler. Fort heureusement pour lui (et pour les amateurs d'histoire napoléonienne), sa poitrine touche un banc de sable, ce qui lui permet de regagner la surface, puis la berge. La noyade a été évitée de peu.
L'année de survenue n'est pas attestée de manière indiscutable. Dans le Mémorial de Sainte-Hélène, l'Empereur lui-même parle de 1786, or il n'était pas encore à Auxonne cette année-là.
Un autre épisode, hivernal celui-là, aurait pu coûter la vie au jeune élève-artilleur : déclinant l'invitation à patiner par deux camarades sur les douves gelées d'Auxonne, la glace aurait cédé, causant la mort de ses deux condisciples.

27 avril 1793 - Route des Sanguinaires à l'ouest d'Ajaccio
Le capitaine Napoléon Bonaparte, qui exerce depuis octobre 1792 son second commandement en Corse, est en poste à Ajaccio depuis le 18 avril 1793. Le 27, il part en inspection à la tour de la Parata qui fait face aux Îles Sanguinaires , à l'ouest de sa ville natale. Sur la route, il déjoue une tentative d'assassinat : prévenu secrètement à la dernière minute, il revient sur ses pas.
L'animosité des Paolistes (partisans de Pascal Paoli) va se faire de plus en plus menaçante envers Napoléon et sa famille, qui devront se réfugier à Calvi en mai puis s'exiler sur le continent le mois suivant.

17 décembre 1793 - La Seyne-sur-Mer
Le 16 décembre vers minuit, l'assaut est donné par les troupes françaises au "Petit Gibraltar", nom attribué par les Anglais à la colline du Caire, qu'ils ont fortifiée et estiment imprenable. Les combats durent toute la nuit et le Chef de bataillon Napoléon Bonaparte lui-même est sévèrement blessé d'un coup de baïonnette (ou d'esponton) à la cuisse gauche. A quelques centimètres près on peut imaginer que l'artère fémorale aurait été sectionnée et là, au milieu des combats et en pleine nuit, le jeune officier se serait vidé de son sang ...
A l'aube, le fort est pris par les Français et de l'artillerie y est placée, dirigée contre les fortins de l'Eguillette et de Balaguier , encore aux mains de l'ennemi.

15 novembre 1796 - Arcole
Au premier jour de la bataille du pont d'Arcole, le général Napoléon Bonaparte manque de se noyer après avoir chuté dans la rivière Alpone, alors en crue, lors d'un des multiples assauts du pont. L'Alpone n'est à cette époque pas canalisé comme de nos jours, et les berges en aval sont particulièrement marécageuses.
Bonaparte ne doit son salut qu'à un soldat (possiblement le sapeur bigourdan Dominique Gaye-Mariole, ou bien le biterrois Antoine Pailhès), qui le sauve de ce mauvais pas.

8 mai 1798 - Roquevaire
Ce jour-là, le général Napoléon Bonaparte se rend d'Aix [Aix-en-Provence] à Toulon, en compagnie de son épouse Joséphine. En raison d'un bris de roue sur sa diligence vers Pont-de-Joux, il se voit contraint de faire halte dans la soirée à Roquevaire.
Il doit pour cela franchir le pont de Merluçon, un ouvrage en pierre de tuf datant de 1545 et reconstruit en 1702, qui enjambe l'Huveaune (un fleuve côtier qui se jette en Méditerranée à Marseille). Mais le pont vient juste de s'effondrer. Il s'en faut de peu pour que Bonaparte et son épouse, du fait de l'obscurité, ne chutent de plusieurs mètres dans le vide. Finalement ils passeront tranquillement la nuit du 8 mai 1798 dans un immeuble près du pont avant de rejoindre Toulon le lendemain.

20 mai 1800 - Près de Proz
Peu avant le village de Proz [de nos jours submergé par le barrage des Toules], en franchissant l'étroit défilé de Sarreire, la mule montée par le Premier Consul trébuche et manque de peu de basculer dans le ravin sur sa droite, mais son guide valaisan Pierre Nicolas Dorsaz intervient promptement en retenant son client par le manteau et la mule par le mors.
Puis seront gravies plus paisiblement les pentes du col du Grand Saint-Bernard, et la seconde Campagne d'Italie prendra la tournure qu'on lui connaît.
Considérant que Dorsaz lui a sauvé la vie, Napoléon lui enverra 1200 francs (au lieu des 3 francs prévus), pour lui permettre d'acheter une maison.

24 décembre 1800 - Rue Saint-Nicaise, Paris
Vers 20 heures, une machine infernale, composée d'un tonneau rempli de poudre à canon, de matériaux inflammables et de balles est lancée contre le premier consul Napoléon Bonaparte en route pour l'Opéra. Celui-ci en réchappe, car la bombe explose quelques secondes après son passage. On dénombre toutefois 22 morts et une centaine de blessés, et pas moins de 46 maisons du côté de la rue Saint-Honoré sont détruites ou rendues inhabitables.
Les organisateurs, des royalistes, parviennent à échapper aux recherches. Pas leurs agents d'exécution, François-Joseph Carbon et Pierre Saint-Réjeant, qui sont arrêtés, jugés et finalement exécutés le 20 avril 1801 en place de Grève.
La rue Saint-Nicaise sera détruite en 1853 lors du prolongement de la rue de Rivoli et de l'aménagement de la cour Napoléon du Louvre.

22 avril 1809 - Eckmühl
Au cours de la bataille d'Eckmühl, le général Jean-Baptiste Cervoni , chef d'Etat-major du maréchal Lannes, est décapité par un boulet alors qu'il se tenait aux côtés de Napoléon. À un ou deux mètres près c'était la tête de l'Empereur qui était emportée ...
À cet endroit précis fut élévé en 1909 un tertre surmonté d'un monument commémorant la bataille.

23 avril 1809 - Devant Ratisbonne
Au lendemain de la bataille d'Eckmühl, au cours de combats devant Ratisbonne [Regensburg], Napoléon est blessé par une balle de carabine tyrolienne, qui touche son talon droit (ou sa cheville). Fort heureusement pour lui le coup a été tiré d'assez loin, et le projectile a créé danvantage une grosse contusion qu'une plaie.
Après avoir été soigné par le chirurgien Alexandre-Urbain Yvan [ce moment sera illustré l'année suivante par Pierre-Claude Gautherot ], Napoléon se remet en selle sans tarder pour continuer à combattre.

12 octobre 1809 - Château de Schönbrunn
Alors que Napoléon assiste à une parade dans la cour du château de Schönbrunn, entouré de Louis-Alexandre Berthier et Jean Rapp, un jeune homme de dix-sept ans nommé Friedrich Staps (ou Stapß) s'approche et demande à parler à l'Empereur. Le général Rapp, qui parle allemand, échange quelques mots avec lui, mais flaire le danger et le fait arrêter. On trouve sur lui un couteau de cuisine.
Lors de son interrogatoire, Staps déclare avoir voulu tuer Napoléon par patriotisme. L'Empereur lui-même l'interroge mais Staps refuse toute mesure de clémence, affirmant qu'il réitèrerait son projet si l'occasion se représentait. Il sera finalement jugé, et fusillé le 27 octobre.

22 mai 1813 - Markersdorf
Au lendemain de la bataille de Bautzen, alors que les Français poursuivant l'ennemi font halte près de la ferme Hanspach, un boulet tiré par les Russes depuis une colline à 2,4 kilomètres de là tue sur le coup le général d'état-major François-Joseph Kirgener du Planta et blesse mortellement le maréchal du palais Géraud Michel Duroc, cela à quelques mètres à peine du maréchal Édouard Mortier et de Napoléon.
L'Empereur sera très affecté par la mort de Duroc, qu'il considérait comme un ami.

29 janvier 1814 - Entre Brienne et Juzanvigny
Vers la fin du combat, au nord-est de Brienne sur la route de Juzanvigny, Gaspard Gourgaud, aide de camp de Napoléon, lui sauve la vie en abattant d'un coup de pistolet un cosaque sur le point de transpercer l'Empereur de sa lance.
Napoléon, à Sainte Hélène, fera mine devant Gourgaud de ne pas s'en souvenir, provoquant presque un étranglement de ce dernier ...

13 avril 1814 - Château de Fontainebleau
A l'issue de la Campagne de France, menée de main de maître par l'Empereur mais perdue du fait de l'écrasante supériorité numérique des Alliés, tout accable celui-ci. Le 2 avril 1814, le Sénat vote sa déchéance. Le 4, reclus dans son appartement de Fontainebleau, il est contraint d'abdiquer en faveur de son fils puis, le 6, il abdique une seconde fois, renonçant définitivement au trône pour lui et sa famille.
Dans la nuit du 12 au 13 avril, il n'a plus le goût à vivre. Il porte autour du cou (ou dans le pli de sa veste), depuis la Campagne de Russie, un petit sac de satin contenant une fiole d'une décoction supposée mortelle de belladone, hellébore et opium (certaines sources évoquent du cyanure), que lui avait alors préparée son chirurgien Alexandre-Urbain Yvan. Il décide d'en absorber le contenu.
Pris de violentes douleurs, de spasmes, de vomissements incoercibles, l'Empereur ne succombe toutefois pas : sans doute le poison, préparé deux ans plus tôt, s'est-il éventé ... Il fait venir Yvan, et lui demande une dose plus forte. Celui-ci refuse, et s'enfuit pour ne plus revenir. La mort ne veut pas encore de Napoléon ; sa légende peut continuer à s'écrire.

Crédit photos
Photos par Lionel A. Bouchon.Photos par Didier Grau.
Photos par Michèle Grau-Ghelardi.
Photos par Marie-Albe Grau.
Photos par Floriane Grau.
Photos par des personnes extérieures à l'association Napoléon & Empire. Merci à Mme Annie Bartolomei pour la photo de Roquevaire qu'elle nous a grâcieusement offerte.