Prononciation :
Marguerite-Joséphine Weimer naît le 23 février 1787, au 6 de la rue Saint-Patrice, à Bayeux. Ses parents, Georges Weimer et Marie Verteuil, appartiennent tous deux au milieu théâtral. Son père dirigera bientôt le théâtre d’Amiens tandis que sa mère est la tante d’un secrétaire de la Comédie française et jouera elle-même les rôles de soubrette.
Dans un tel environnement, la petite Marguerite-Joséphine monte tout naturellement sur les planches. Elle entame sa carrière dès l’âge de cinq ans et, à peine quelques années plus tard, à l’occasion de représentations de Phédre (Jean Racine) et de Didon (Jean-Jacques Lefranc de Pompignan) où elle lui donne la réplique, suscite l’intérêt de la plus illustre tragédienne du temps, Mademoiselle Raucourt. Celle-ci la recrute pour la Comédie-française avant d’assurer elle-même sa formation (sous l’oeil inquisiteur de la mère de Marguerite, la Raucourt « jouissant » d’une réputation aussi inquiétante qu’assumée quant à ses moeurs).
Les débuts de Mademoiselle George (Marguerite-Joséphine ayant pris comme pseudonyme le prénom de son père) ont lieu le 29 novembre 1802, dans le rôle de Clytemnestre, d’Iphigénie en Aulide (Racine). Le succès est immédiat. Sa beauté, sa voix et sa diction sont également louées. Ses interprétations suivantes ne font qu’accroître sa renommée.
Déjà maîtresse de Lucien Bonaparte, puis du prince Sappia, qui lui a offert un appartement et son mobilier, elle devient à cette époque celle du Premier consul. L’idylle n’a rien de romantique : le chef d’état se contente d’envoyer un valet de chambre convoquer l’actrice à l’issue d’une représentation d’Andromaque et lui fait préciser qu’elle peut venir sans se changer. Elle se déshabillera sur place ! Mademoiselle Georges obtempère, se présente au palais de Saint-Cloud à minuit et demi et en ressort à six heures du matin. Cette liaison prendra fin, de l’aveu même de l’actrice, avant la proclamation de l’Empire (Il m’a quittée pour se faire empereur
).
La jalousie d’une rivale, Mademoiselle Duchesnois, forte du soutien de Joséphine de Beauharnais, aboutit à la formation de deux coteries antagonistes : les Georgiens et les Carcassiens (ainsi baptisés par les adeptes de Mademoiselle Georges afin de dénigrer la maigreur de sa concurrente). Dans la salle du théâtre-français, les représentations auxquelles participent les deux actrices tournent au pugilat. Mademoiselle George finit cependant par établir sa supériorité dans le rôle de Phèdre, jusque-là cheval de bataille de sa rivale. Cette victoire, reconnue même par les Carcassiens, lui permet de s’imposer ensuite dans tous les rôles de reine du répertoire.
En 1804, Marguerite-Joséphine devient sociétaire à demi-part de la Comédie française (l’autre demi-part revenant à Mademoiselle Duchenois par la grâce de l’impératrice Joséphine). Elle y crée avec grand succès plusieurs rôles dans des oeuvres qui ne sont pas passées à la postérité, tout en continuant de briller dans le répertoire classique (Corneille et Racine).
Dans le courant de 1808, elle quitte brutalement Paris et la Comédie-française pour la Russie, peut-être à l’instigation de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, désireux de la voir séduire le tsar Alexandre Ier, ou plus simplement par suite d’une brouille avec l’intendant des théâtres, suppôt notoire de sa rivale. L’enthousiasme qu’elle provoque, à Peterhof d’abord, à Saint-Pétersbourg ensuite, est sans exemple jusqu’alors et se maintiendra tout au long de son séjour. Le Tsar lui-même descend de sa voiture pour la saluer lorsqu’il croise la magnifique calèche dans laquelle elle se déplace. Car la rémunération et le train de vie de l’actrice sont proportionnés à sa gloire.
En septembre 1808, lors du congrès d’Erfurt, plusieurs pièces françaises (Cinna, Britannicus, Iphigénie en Aulide, La Mort de César...) sont représentées devant un parterre de souverains : Napoleon, Alexandre Ier, le roi et la reine de Westphalie, le roi de Saxe, ceux de Wurtemberg et de Bavière. Mademoiselle George est fréquemment citée parmi les acteurs mais rien n’atteste sa présence.
Marguerite-Joséphine Weimer tente en vain de quitter la Russie avant l’entrée des Français dans le pays. Elle doit attendre 1813 pour y être autorisée. Elle se rend alors à Stockholm où elle est reçue avec les honneurs par le prince héritier de Suède, le général français Jean-Baptiste Bernadotte. Sa route y croise celle de Madame de Madame de Staël-Holstein, alors en exil dans la famille de son mari. Mademoiselle George quitte la ville en juin, porteuse d’une lettre de Bernadotte à Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie, qu’elle lui transmet avant de prendre la route de Dresde, où se trouve alors Napoléon.
Jusqu’au 10 août 1813, tant que dure l’armistice de Pleiswitz qui a interrompu les hostilités entre la France et la sixième coalition depuis le 4 juin, cinquante représentations théâtrales sont organisées dans la capitale de la Saxe par les comédiens du Français. Talma, absent puisque seuls les emplois comiques de la troupe avaient été mandés par l’Empereur, est rappelé d’urgence de Paris pour donner la réplique à Mademoiselle George dans les tragédies. Chaque jour ou presque, cette dernière et ses camarades sont reçus à déjeuner par Napoléon. Le 11 août, les comédiens reçoivent l’ordre de retourner à Paris.
Le 20 septembre, Mademoiselle George reprend sa place à la Comédie-française. Par ordre exprès de l’Empereur, elle y revient comme sociétaire à part entière et le temps de son absence est effacé. Le succès couronne à nouveau ses apparitions.
La chute de l’Empire la désole et son dévouement à l’Empereur lui vaut quelques tracas à la Comédie-française. Si bien qu’elle accueille avec enthousiasme le retour de l’île d’Elbe et réclame même sans succès le privilège d’accompagner Napoléon à Sainte-Hélène. Ce Bonapartisme à contretemps entraîne son expulsion de la maison de Molière (8 mai 1815).
Mademoiselle George se produit alors, de 1816 à 1821, sur les grandes scènes de Province, avant que Louis XVIII ne la fasse revenir à Paris. Elle y tient la vedette à l’Odéon jusqu’en 1827, après quoi elle prend part à diverses tournées nationales et internationales, qui la mènent jusqu’à Londres ou à Amsterdam. L’organisateur en est son nouvel amant, Charles-Jean Harel.
Marguerite-Joséphine rentre à Paris en 1829, et s’y fait l’interprète d’élection du drame romantique, alors naissant. A l’Odéon d’abord, au théâtre de la porte Saint-Martin ensuite, Alfred de Vigny (La Maréchale d’Ancre), Alexandre Dumas (La Tour de Nesle) et Victor Hugo (Lucrère Borgia, Marie Tudor) mais aussi nombre d’auteurs dont les noms sont aujourd’hui oubliés, trouvent en elle une ambassadrice de choix. Elle ne peut cependant éviter la chute de certaines de ces oeuvres nouvelles, par trop médiocres. En outre, à partir de 1833, la beauté de l’actrice commence à se faner : elle s’empâte, ce qu’une certaine presse parisienne ne craint pas de souligner.
Aussi quand Harel, qui dirige le théâtre de la porte Saint-Martin, se voit ruiné par l’interdiction de deux des ouvrages de son répertoire (dont le Vautrin de Balzac), Mademoiselle Georges fait-elle le choix de reprendre la route en sa compagnie (1840). Ces nouvelles tournées la conduisent d’abord en province puis en Italie, en Autriche et en Russie (Crimée puis Saint-Pétersbourg) où elle connaît le même succès que jadis.
Ses dernières années d’activité la voient triompher d’une nouvelle rivale, Rachel Félix, qu’elle affronte dans une singulière joute théâtrale. Elle reprend ensuite du service à l’Odéon où son succès ne se dément pas ‒ malgré une obésité qui prend des dimensions caricaturales ‒ au théâtre de la Gaîté ou à celui de la Porte Saint-Martin. Ses partenaires y sont Marie Dorval et le grand Frédéric Lemaître.
En 1847, Marguerite-Joséphine Weimer tente sans succès de fonder une classe de tragédie. Après sa retraite (mai 1849), elle devient inspectrice du Conservatoire. Elle trouve encore la force de monter sur les planches de temps à autre, à la Comédie-française et enfin à l’Odéon où elle donne une dernière représentation, le 3 juillet 1855, dont le programme n’a pas été conservé.
Ces ultimes efforts visent à équilibrer une situation financière qui devient de plus en plus difficile durant les dernières années de l’actrice. Sa demeure, 31 rue du Ranelagh, à la limite d’Auteuil et de Passy, dans le XVIe arrondissement de Paris, est un taudis. Elle y occupe son temps à rédiger des Mémoires qu’elle ne pourra mener à terme et dans lesquels elle se montre en général d’une sincérité rare, sauf à propos de Napoléon, auquel elle voue un culte ébloui.
Marguerite-Joséphine Weimer s’éteint chez elle le 11 janvier 1867, d’une congestion pulmonaire. Elle est enterrée au cimetière du Père-Lachaise , dans la IXe division. Les membres de la Comédie-française se cotisent pour payer les frais de la sépulture. Alexandre Dumas tient l’un des cordons du poêle.
Portrait de Mademoiselle George, exécuté par Louis-Joseph Courtat (Paris 1847 - Paris 1909)
Mademoiselle George partage son caveau avec Charles-Jean Harel, qui fut longtemps son amant et toujours son ami.
Victor Hugo, Alexandre Dumas Père et Théophile Gautier la considéraient comme la meilleure tragédienne de son temps.