À Toulon, depuis le début de la Révolution Française, ouvriers de l'arsenal et officiers de marine se sont fréquemment affrontés. Les derniers, bien que leur nombre soit réduit par l'émigration, ont réussi à s'emparer de la direction du mouvement fédéraliste toulonnais, lequel, comme ailleurs en province, s'est créé en réaction à l'éviction des Girondins de la Convention et la domination de celle-ci par les Montagnards. Ils l'animent d'un esprit de plus en plus ouvertement monarchiste.
La situation
Le 18 juillet 1793, un comité central des sections municipales toulonnaises est créé. Réagissant aux événements parisiens en cours, il décide bientôt l'arrestation des représentants en mission qui se trouvent dans la ville : Pierre Baille, Charles Beauvais, Paul Barras et Louis Marie Stanislas Fréron (les deux derniers ne tarderont pas à s'évader).
Très vite, les fédéralistes toulonnais entament des pourparlers avec l'amiral anglais Samuel Hood , commandant l'escadre de la Méditerranée. Du fait de l'opposition en leur sein des fédéralistes modérés, de tendance girondine, qui les considèrent comme une trahison, ces négociations n'aboutissent pas.
Cependant, les fédéralistes marseillais, eux-mêmes insurgés contre la Convention depuis le 22 juin, et alarmés par les déboires militaires de leur « armée » (dont Bonaparte a laissé, dans le « Souper de Beaucaire », une description mordante) ont mis à leur tête un chef royaliste et nommé un « comité de salut public ». Celui-ci envoie lui aussi des émissaires aux flottes britanniques et espagnoles, dans l'espoir d'obtenir leur appui face aux troupes de la Convention.
Marseille accueille le 22 août 1793 la frégate anglaise Nemesis, commandée par le capitaine John Woodley, officiellement en vue d'un échange de prisonniers, en réalité pour entamer des pourparlers. Cette arrivée, s'ajoutant à la terreur blanche que les royalistes font régner dans la cité et à l'avancée des armées républicaines, entraîne une vive réaction des jacobins locaux.
Les 23 et 24 août 1793, les rues de la ville sont le théâtre de violents combats. Le 25, les troupes républicaines, emmenées par le général Jean-François Carteaux , s'emparent de Marseille , bientôt rebaptisée « Ville-sans-nom », et y rétablissent les autorités jacobines.
Les chefs du mouvement fédéraliste n'échappent à la répression qui suit qu'en s'enfuyant par mer à Toulon, où leur arrivée relance les discussions avec les flottes anglaise et espagnole, devenues le seul recours des insurgés.
Déjà, le 23 août, les Toulonnais, avec l'accord du chef de la flotte française de Toulon, l'amiral Jean-Honoré de Trogoff de Kerlessy, ont demandé aux flottes étrangères d'occuper la ville et le port. Débarquent alors des troupes anglaises, espagnoles, sardes et napolitaines ; Louis XVII est proclamé roi ; les Anglais se réservent l'exercice de l'autorité.
Le plan de Napoléon Bonaparte
L'armée révolutionnaire, une fois Marseille ramenée dans le giron de la République, marche sur Toulon et entreprend d'en faire le siège. Le 28 août 1793, le général Carteaux établit son quartier général au Beausset , à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Toulon. Les Républicains ne disposant pas d'une flotte, la ville n'est cependant bloquée que du côté de la terre.
Le capitaine Napoléon Bonaparte, en provenance de Marseille et devant se rendre à Nice, passe au quartier général le 16 septembre. Il se voit confier par Antoine Christophe Saliceti , représentant en mission, le commandement de l'artillerie.
Napoléon s'attaque en premier lieu à remettre sur pied une artillerie digne de ce nom. Il détermine ensuite les positions dont la possession rendrait la rade intenable pour l'ennemi. Son plan prévoit la prise des fortins de l'Eguillette [43.10037, 5.91007] et de Balaguier [43.09442, 5.91098] ‒ situés sur la côte, au pied de la colline dite du Caire ‒ qui commandent la passe entre la petite et la grande rade ; les assiégés seraient alors privés de tout ravitaillement.
Le 22 septembre 1793, une première attaque française, menée sans vigueur par le général Carteaux, échoue. Les Alliés, en réaction à cette tentative, couronnent sans tarder la colline du Caire d'un ensemble d'ouvrages fortifiés : la grande redoute du « Fort Mulgrave » (ainsi nommée d'après Henry Phipps, 1er comte de Mulgrave , commandant provisoirement sur place les forces terrestres britanniques) et trois redoutes plus petites dites « Saint-Philippe », « Saint-Côme » et « Saint-Charles ». L'ensemble, jugé imprenable, est surnommé « le Petit Gibraltar » par les marins anglais.
Napoléon Bonaparte, qui a reçu ses galons de Chef de bataillon le 18 octobre, réagit en installant face au « fort Mulgrave » une grande batterie, dite de « la Convention », appuyée de toute une série de batteries moins importantes, posées sur les buttes environnantes, dont la mission est de repousser toute intervention des flottes ennemies lorsque le fort sera attaqué. En tout plus de 300 canons sont déployés. C'est que depuis le 16 novembre et l'arrivée à la tête de l'armée d'un général compétent, Jacques Dugommier, la valeur du plan de Bonaparte a été reconnue et son exécution entamée avec énergie.
Conscients du danger, les Alliés exécutent une sortie le 30 novembre depuis Malbousquet et s'emparent un moment de la batterie de « la Convention ». Mais une contre-attaque les repousse, au cours de laquelle, près de la chapelle de Faveyrolles [43.13796, 5.87757] à Ollioules, Napoléon Bonaparte fait prisonnier le général anglais Charles O'Hara (selon d'autres sources, ce général aurait été capturé par Louis-Gabriel Suchet ou par Hugues Charlot).
Le 16 décembre 1793, vers minuit, l'assaut est donné au « Petit Gibraltar ». Les combats durent toute la nuit et Bonaparte lui-même est blessé à la cuisse. A l'aube, le fort est pris et de l'artillerie y est placée, dirigée contre les fortins de l'Eguillette et de Balaguier.
Le 17, dans la journée, tous les forts qui ceinturent Toulon tombent aux mains des Républicains, que ce soit de vive force ou après leur évacuation par les Britanniques. Les flottes anglaises et espagnoles n'ont plus qu'à s'enfuir, après avoir incendié l'Arsenal et en emmenant avec elles une quinzaine de milliers d'assiégés. Le 18, l'armée de la Convention reprend Toulon qui devient, pour un temps, « Port-la-Montagne ».
Dans les jours qui suivent, Paul Barras et Stanislas Fréron dirigent une répression sanglante à laquelle Napoléon Bonaparte, promu général de brigade le 22 décembre et en route pour sa nouvelle affectation comme chef de l'artillerie de l'armée d'Italie, n'assiste pas.
Conséquences
Outre une fulgurante promotion, le siège de Toulon et l'influence prépondérante qu'il y a prise ont apporté à Napoléon Bonaparte un début de célébrité : son nom est cité pour la première fois à la Convention dans une lettre de Dugommier. Il y croise aussi quelques uns de ses futurs grands officiers : Auguste Frédéric Louis Viesse de Marmont, Jean-Andoche Junot, André Masséna, Claude-Victor Perrin et Louis-Gabriel Suchet.
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Photos par Lionel A. Bouchon.Photos par Didier Grau.