Consolidation du régime et premiers nuages
L'année 1808 voit Napoléon réorganiser l'enseignement, dont le monopole est accordé à l'Université (17 septembre), avec Jean-Pierre Louis de Fontanes pour grand maître. Par ailleurs, le régime tourne de plus en plus le dos à ses origines : le décret du 1er mars instaure une nouvelle noblesse héréditaire en France ; le 24, la magistrature est « épurée » des éléments issus de la Révolution ; le 22 octobre, un décret substitue la mention « Empire Français » à « République Française » sur les monnaies. Quant aux besoins en soldats, il vont croissant : le 8 septembre, le Sénat approuve une levée extraordinaire de 160 000 soldats, qui regroupe les dispensés des classes de 1807 à 1809 et les conscrits de celle de 1810, appelés par anticipation.
Autre pilier du régime impérial qui risque de s'effriter : la paix religieuse. Début 1808, le conflit avec le Saint-Siège entre dans sa phase aiguë. Le 2 février, le général Sextius Alexandre François de Miollis, conformément à ses ordres, entre à Rome avec ses troupes. Bientôt, plusieurs provinces sont détachées des États pontificaux pour être réunies à l'Italie. Le Pape réagit en excommuniant Napoléon (27 mars) et, deux mois plus tard, en interdisant aux évêques français d'obéir à leur gouvernement.
Tout semble en revanche aller pour le mieux avec l'allié russe. Bien qu'ils n'aient pu s'entendre sur le partage des dépouilles d'un empire Turc qu'ils envisageaient de démembrer à leur profit, Napoléon et le tsar Alexandre 1er se rencontrent à Erfurt à la fin de septembre pour signer une convention renouvellant leur alliance. Ils se séparent quinze jours plus tard avec d'émouvantes manifestations d'amitié. Seule ombre au tableau : Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord profite de l'occasion pour mettre en garde le Tsar contre la folie
de Napoléon.
L'intervention en Espagne
Mais 1808 est principalement dominée par les affaires d'Espagne. En début d'année, Napoléon continue à faire entrer des troupes dans le pays tandis que la situation politique y devient de plus en plus instable. Le 18 mars, le peuple espagnol, poussé par le prince héritier Ferdinand, se soulève contre un projet de départ pour l'Amérique de la famille royale. Le lendemain, Charles IV abdique en faveur de son fils et Manuel Godoy, le premier ministre, est renversé.
Refusant de reconnaître le fait accompli, Napoléon part pour Bayonne et y convoque la famille royale espagnole. Le 5 mai, Charles IV met sa couronne à la disposition de Napoléon 1er, décision ratifiée par Ferdinand et ses frères le 10. Mais si les princes tremblent devant l'Empereur et se soumettent, il n'en va pas de même du peuple. Dès le 29 mars, une junte formée à Séville appelle le peuple aux armes contre les Français. Le 2, ce sont les madrilènes qui se soulèvent .
Malgré la dureté de la répression, leur exemple fait tache d'huile. De nombreuses villes sont le théâtre d'insurrections anti-françaises durant les derniers jours du mois de mai et les premiers du mois de juin. Les troupes impériales y interviennent avec plus ou moins de réussite et connaissent le 22 juillet leur premier grand échec : à Bailén, le général Pierre Dupont de l'Etang capitule avec ses 20 000 soldats. Joseph Bonaparte, le nouveau roi d'Espagne désigné par Napoléon, est à Madrid depuis deux jours. Une semaine plus tard, il doit fuir sa capitale.
Le 5 août, devant la gravité de la situation, Napoléon envoie en Espagne la moitié des forces françaises d'Allemagne, qui mettent toutefois plusieurs semaines pour se rendre sur place et doivent affronter non seulement les insurgés espagnols mais aussi les troupes anglaises libérées par les défaites françaises au Portugal.
En effet les Britanniques, après avoir pris pied dans la péninsule ibérique le 8 juillet 1808, battu Junot le 21 août à Vimeiro et obtenu de lui, le 30, la capitulation de Cintra, franchissent la frontière hispano-portugaise le 15 octobre et entrent dans la province de León. Ils y trouvent une situation qui n'est plus celle du printemps et de l'été. Les Français sont à nouveau à l'offensive et accumulent les victoires, galvanisés par la présence de l'Empereur en Espagne, qui les rejoint au début de novembre. Prudemment, l'armée anglaise se replie sur le Portugal. Après la victoire française de Somo-Sierra , le 30 novembre, Madrid n'a plus qu'à capituler. Napoléon Ier y met en scène sa clémence et annonce un train de mesures révolutionnaires propres, croit-il, à lui concilier le peuple : suppression des droits féodaux, des douanes provinciales et du tribunal de l'Inquisition. Mais il instaure aussi une politique de réquisitions, visant à financer la guerre.
Le 11 décembre 1808, les Anglais se montrent à nouveau en Espagne, ce qui décide l'Empereur à prendre personnellement la direction des opérations contre eux. Mais la réception d'une dépêche envoyée par Jean-Jacques Régis de Cambacérès, l'informant des armements de l'Autriche, lui fait abandonner dès le 3 janvier 1809 la poursuite de l'armée anglaise et rejoindre Paris, laissant au maréchal Jean-de-Dieu Soult le soin de poursuivre les hostilités face aux Anglais dans la péninsule, avec des résultats mitigés.
La campagne d'Autriche. Divorce. Conflit avec le Pie VII
Le 8 avril 1809, Napoléon Ier voit les Autrichiens, soutenus financièrement par les Anglais, franchir les limites de la Bavière, état allié de la France et le 10 l'archiduc Jean de Habsbourg pénétrer en Italie. L'Empereur prend la tête de l'armée et défait les Autrichiens à Tengen, Abensberg, Eckmühl, Ratisbonne et Gora. Moins d'un mois après, l'Aigle est à Schoenbrunn (12 mai). Le 13, Vienne capitule. Quelques jours plus tard, Napoléon effectue une première tentative pour se porter sur la rive gauche du Danube [Die Donau] où l'archiduc Charles de Habsbourg a regroupé ses troupes (bataille d'Aspern-Essling, 20-22 mai). C'est un échec, qui provoque des pertes considérables et la mort du maréchal Jean Lannes.
Un mois plus tard, les 5 et 6 juillet, presque sur le même terrain, Napoléon, qui a reçu le renfort de l'armée d'Italie amenée par le prince Eugène et Étienne Jacques Joseph Alexandre Macdonald, inflige aux armées autrichiennes la défaite de Wagram . Le 11, une nouvelle victoire française, à Znaïm, décide l'empereur d'Autriche François Ier à demander un armistice, qui est signé le lendemain. Le 14 octobre, le traité de Vienne clôt la campagne.
Celle-ci a néanmoins mis en évidence un renouveau du nationalisme allemand, gros de conséquences à venir. Il se traduit, entre autres, par les tentatives d'assassinat dont l'Empereur est la cible, le 23 mai à Ratisbonne et le 13 octobre à Vienne, cette dernière perpétrée par Friedrich Staps. Celui-ci est exécuté le 17, malgré les efforts faits par Napoléon pour lui laisser la vie sauve.
Dans l'immédiat, Napoléon Ier se voit proposer en novembre 1809 par le prince Clément de Metternich, devenu chancelier d'Autriche en juillet et qui souhaite mener une politique de rapprochement avec la France, d'épouser l'archiduchesse Marie-Louise d'Autriche. Le 15 décembre suivant, Napoléon et Joséphine déclarent renoncer à leur union. Le 16, leur mariage est dissous par un acte du Sénat. Le 9 janvier suivant, il est déclaré nul par l'Officialité de Paris, ce qui n'améliore pas les relations de Napoléon et du Pape Pie VII.
Celles-ci n'ont d'ailleurs pas cessé de se détériorer tout au long de l'année. Le 17 mai, Napoléon réunit par décret les États du Pape à l'Empire français. Le 10 juin, le Pape rend publique la bulle d'excommunication de Napoléon Ier ; le 6 juillet, le souverain pontife est arrêté et conduit à Savone ; le 26 août, il refuse d'investir les évêques, ce qui conduit l'Empereur à nommer, le 16 novembre, un Comité des évêques chargé d'examiner le conflit entre l'Empereur et le Pape. C'est son oncle, Joseph Fesch, archevêque de Paris depuis le 31 janvier, qui en est le président.
Napoléon achève l'année 1809 par une vague de nominations ducales (Fouché devient duc d'Otrante, Régnier duc de Massa, Champagny duc de Cadore, Gaudin duc de Gaète, Clarke duc de Feltre, Maret duc de Bassano) et l'annexion des provinces illyriennes (29 décembre) dont Auguste-Frédéric-Louis Viesse de Marmont assure le gouvernement.
Remariage avec Marie-Louise. Extension maximale de l'Empire
Le début de l'année 1810 est consacré par Napoléon au choix délicat d'une nouvelle épouse. Il s'adresse pour cela au Conseil privé, qui lui propose plusieurs options : la future impératrice pourrait être russe, autrichienne, saxonne ou même française. La première éventualité est vite abandonnée devant le refus du tsar Alexandre d'accorder la main de sa soeur. Le choix d'une épouse autrichienne s'impose et, le 7 février, un contrat de mariage provisoire est signé entre Napoléon 1er et Marie-Louise d'Autriche, que la cour de Vienne ratifie le 16. Le 13 mars, Marie-Louise se met en route et le mariage civil a lieu le 1er avril. Le lendemain, le mariage religieux, célébré par le cardinal Fesch, est l'occasion d'une nouvelle aggravation du différend entre Napoléon et l'Eglise : treize cardinaux italiens s'abstiennent d'y assister, sans craindre de s'exposer à une inculpation pour injures graves envers l'Empereur.
En effet, malgré les efforts de celui-ci pour réveiller dans son clergé les vieux réflexes gallicans (série de question du 11 janvier au Comité des évêques), l'autorité du Pape reste grande. Le cardinal Fesch lui-même y cède, en septembre, lorsqu'il refuse d'occuper l'archevéché de Paris. Il revient donc à l'ex-émigré Jean-Siffrein Maury qui ne l'obtient que pour se voir aussitôt interdire d'exercer ses fonctions par le Pape (5 novembre puis 18 décembre), dont les nombreux griefs à l'égard de Napoléon se sont alourdis depuis l'annexion de Rome par l'Empire le 17 février 1810 et l'attribution du titre de roi de Rome au prince impérial, encore à naître.
La réputation d'ogre de Napoléon, en cette année 1810, est par ailleurs justifiée par d'autres agrandissements de l'Empire. Le 14 janvier, le royaume de Westphalie en donne le signal en annexant le Hanovre. Le 16 mars, la France grignote le sud de la Hollande, avant de l'avaler tout entière le 9 juillet, après l'abdication de Louis Bonaparte. En décembre, le 13, c'est au tour des régions côtières de l'Allemagne. L'Empire atteint alors son extension maximale (130 départements), mais le Tsar est mécontent que son beau-frère perde le duché d'Oldenbourg à cette occasion. Cette expansion, comme le reste de la politique extérieure de Napoléon Ier, a pour but principal le renforcement du blocus continental.
C'est pour ces mêmes raisons qu'il conclut une alliance avec la Suède le 6 janvier 1810 et se rapproche des États-Unis par la prise de décrets favorisant la liberté du commerce entre les deux pays. Le décret de Trianon (5 août), qui frappe les denrées coloniales de taxes exorbitantes est pris dans le même esprit : se passer des importations d'origine anglaise.
Difficultés extérieures. Crise avec la Russie
Mais cette politique impériale se dirige vers un échec. La péninsule ibérique n'est pas soumise, le peuple espagnol restant profondément hostile et les Anglais continuant à tenir le Portugal. A l'autre bout de l'Europe, le Tzar Alexandre Ier, cédant au mysticisme et à son aristocratie, interdit en décembre 1810 l'entrée des marchandises françaises dans l'empire russe, ce qui amène Napoléon, au début de l'année 1811, à lui écrire une lettre constatant la rupture de leur alliance.
Les relations de Napoléon et d'Alexandre 1er vont en empirant tout au long de 1811. Bien qu'averti des dangers d'une campagne militaire en Russie par Armand de Caulaincourt – de retour en juin de son ambassade de Saint-Petersbourg – l'Empereur, devant le corps diplomatique rassemblé pour célébrer son anniversaire, menace la Russie d'une guerre. En décembre il offre à l'Autriche et à la Prusse de se coaliser avec lui contre le Tsar, après avoir pourtant refusé en février les offres de Bernadotte, porteur d'une proposition d'alliance avec la Suède, si utile dans la perspective du conflit qui se profile.
Ceux déjà en cours ne lui apportent pourtant que des satisfactions mitigées.
Dans la péninsule ibérique, si Louis Gabriel Suchet obtient des succès en Catalogne, André Masséna ne parvient pas à venir à bout de Wellington. Napoléon le remplace par Auguste Marmont, refusant d'admettre que les armées françaises, harcelées par des guerilleros insaisissables et de plus en plus audacieux, ont perdu leur supériorité sur leurs adversaires anglo-hispano-portugais. Pourtant, Jean de Dieu Soult lui-même, qu'il a qualifié au soir d'Austerlitz, de "premier manoeuvrier de l'Europe", se fait battre à La Albuera.
Dans le conflit franco-britannique, Napoléon pense au contraire marquer des points. Mais son appréciation est faussée par le bilan exagérément optimiste de la crise économique sévissant en Grande-Bretagne que lui présente le ministre des Finances, Martin Michel Charles Gaudin.
Le Pape et l'Église, enfin, continuent à lui tenir tête. En avril 1811, Napoléon Ier convoque les évêques de l'Empire en concile national mais dissout cette assemblée dès juillet, les ecclésiastiques ayant déclaré le consentement du Pape indispensable à la validité de leurs décrets. L'Empereur prend alors de sa propre autorité les mesures qu'il juge nécessaires. Le 27 juillet, il réglemente l'institution des évêques, par décret impérial, dans le sens d'une diminution des droits du Pape. Pie VII accepte ces nouvelles règles sauf dans les États pontificaux annexés à l'Empire, dont il refuse d'investir les évêques.
Politique intérieure. Naissance du roi de Rome
Sur la scène intérieure, en revanche, l'Empereur ne connaît pas de graves soucis. Tout juste s'il doit, peu après avoir promulgué le Code pénal et le Code de procédure criminelle, interdire à François-René de Chateaubriand de prononcer son discours de réception à l'Académie française. L'écrivain y attaque en effet son prédécesseur, le régicide Marie-Joseph Chénier, s'opposant ainsi à la politique impériale qui cherche à étouffer le souvenir des vieilles querelles. Seul sujet de préoccupation, les mauvaises récoltes, qui conduisent Napoléon, en août 1811, à décider la création d'un conseil des subsistances, destiné à faire face aux menaces de pénurie alimentaire.
C'est sur le plan privé que l'année est le plus satisfaisante. Le 20 mars 1811 naît à Napoléon un fils, prénommé Napoléon François Charles Joseph Bonaparte, qui reçoit le titre de roi de Rome et pour qui l'Empereur entreprend rapidement la construction d'un palais sur la colline de Chaillot (ce qui a aussi l'avantage de donner du travail aux ouvriers, frappés par une crise économique). Deux mois plus tard (22 mai), l'Empereur et l'Impératrice entament un voyage officiel dans l'Ouest dont ils reviennent pour le baptême du roi de Rome (9 juin). Nouveau voyage du couple impérial, en Hollande cette fois, de septembre à novembre.
Crédit photos
Photos par Lionel A. Bouchon.Photos par Marie-Albe Grau.
Photos par Floriane Grau.
Photos par Michèle Grau-Ghelardi.
Photos par Didier Grau.
Photos par des personnes extérieures à l'association Napoléon & Empire.